SOCIÉTÉ ET HANDICAP
À CHACUN SON MODÈLE
Par MARIA BARILE
Plus souvent qu'autrement, deux choses déterminent le choix des mots utilisés pour décrire les personnes qui doivent composer avec une déficience : la mentalité de la personne qui utilise les mots, son analyse et sa compréhension des déficiences et le modèle auquel elle adhère. Les modèles « alternatifs » des handicaps reconnaissent que les structures économiques et sociales favorisent les stéréotypes, créent des inégalités et placent les personnes qui ont des déficiences dans des situations de désavantage par rapport aux personnes qui n'en ont pas. La situation devient doublement aliénante dans le cas où ce sont des femmes qui vivent avec des handicaps. Et si ces femmes sont membres de communautés culturelles...
Les définitions traditionnelles des déficiences varient mais souvent dans le langage quotidien, les gens utilisent une variété de mots comme des synonymes. Les définitions peuvent varier selon le modèle d'analyse auquel ils adhèrent. Le vocabulaire n'est pas innocent. Notre façon de désigner les personnes et les situations reflète notre façon de les percevoir et, en retour, elle l'influence. Poser une réflexion sur le vocabulaire que nous employons amène les gens à réfléchir sur leurs attitudes et leurs valeurs.
« Quand j'utilise un mot [...], il signifie ce que je choisis de lui faire signifier rien de plus, rien de moins ». (Lewis Carroll, Alice à travers le miroir.)
Dans une brochure publiée par l'ancien Secrétariat d'État et intitulée « Le Pouvoir des mots » on y propose les définitions suivantes : une déficience correspond à une perte ou à une anomalie d'un membre, d'un tissu ou d'un organe (y compris la fonction mentale). Quant à elle, l'incapacité constitue une limitation fonctionnelle, une réduction de la capacité d'une personne d'accomplir des activités comme "normales" pour un être humain. Le handicap, lui, est un obstacle résultant de l'environnement ou d'attitudes de toutes sortes. Il empêche une personne de prendre pleinement ou tout simplement la place qui lui revient dans la société.
Au Québec, le modèle le plus souvent utilisé, appelé le processus de production du handicap, est élaboré dans vers une indemnisation équitable... Ce modèle propose que la déficience correspond au degré d'atteinte anatomique, histotogique ou physiologique d'un système organique. Il peut s'agir d'une amputation, d'une lésion musculo-squelettique, d'une atteinte ou d'un dysfonctionnement du système nerveux, ou de l'appareil oculaire ou auditif, ou encore d'une anomalie génétique ou chromosomique, etc.
De son côté, l'incapacité correspond au degré de réduction d'une aptitude. Les incapacités peuvent être intellectuelles, comportementales, motrices, sensorielles.
Une situation de handicap correspond à la réduction de la réalisation des habitudes de vie, résultant de l'interaction entre les facteurs personnels (les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques personnelles) et les facteurs environnementaux, les facilitateurs ou les obstacles (RIPPH, 1980). Les habitudes de vie comprennent les activités courantes comme s'habiller, faire son repas ou entretenir sa résidence et les rôles sociaux comme occuper un emploi, faire des études ou élever des enfants.
Une particularité de cette conception est de mettre l'accent sur les capacités de la personne et sur les activités qu'elle réalise en s'orientant vers l'élimination des obstacles qu'elle rencontre. Les forces et les choix de la personne et de sa famille sont au centre de cette approche.
Du côté anglais (Angleterre), Mike Oliver, lui, propose deux éléments au modèle social de la déficience : la déficience consiste en un manque d'un membre ou d'une partie de celui-ci ou le mauvais fonctionnement d'un organe ou d'un mécanisme corporel. Quant à l'incapacité, elle résulte dans le désavantage ou la restriction d'activité causée par l'organisation sociale contemporaine qui tient peu ou pas compte des personnes qui ont des déficiences physiques et ainsi les exclut des activités sociales courantes.
À la lecture de ce modèle, on s'aperçoit qu'il met l'emphase sur l'hégémonie causée par le manque d'accès aux ressources qui sont accessibles aux personnes qui n'ont pas de déficiences et sur la distribution inégale des chances dans la société. Ce modèle soutient que ce sont ces iniquités qui créent la discrimination, la ségrégation et conséquemment la pauvreté. Très politisé, il nous invite à voir que les déficits sociaux sont la cause majeure de l'incapacité des individus plutôt que les aspects biomédicaux. Le modèle nous interroge à savoir : qui bénéficie de la définition biomédicale ? Qui sont les individus et quels intérêts représentent-ils pour avoir le pouvoir économique et politique de notre vie quotidienne ? En fin de compte, c'est notre propre compréhension, notre analyse et nos expériences qui vont nous guider à choisir un mot, un modèle plutôt qu'un autre.
MARIA BARILE est militante au sein du groupe Action des femmes handicapées de Montréal.