Nouvelles perspectives sur la convivialité des techniques
par Tim Lougheed
Affaires universitaires. Juin/Juillet 2000, 24-27."Reprinted with permission of University Affairs, a magazine on
higher education published by the Association of Universities and Colleges
of Canada. Reprinted with permission."
Disponible 10 juillet, 2000 en anglais (PDF) : http://www.aucc.ca/en/university_affairs/feature/2000/june-july/technol.pdf
et en anglais (html): http://www.adaptech.org/pubs/uafe.html et en francais (html) : http://www.adaptech.org/pubs/uaff.html
Une étude canadienne montre aux administrateurs et professeurs d’universités et de collèges comment s’assurer que le Web utilisé en classe n’exclut pas les étudiants handicapés
Concevoir des cours réussis pour le World Wide Web demeure un tour de force pour les éducateurs. La technique a moins de 10 ans et la plupart s’interrogent encore sur la meilleure façon de présenter la matière dans ce média dynamique et interactif. Une étude nationale ajoute une autre dimension à ce défi : veiller à ce que les étudiants handicapés puissent exploiter les sites Web utilisés pour l’enseignement.
Pensez aux problèmes que pose la documentation pédagogique contenant de nombreux éléments graphiques (illustrations, animation ou même vidéoclips) qui n’ont aucune valeur pour un étudiant aveugle; aux fichiers sonores que les malentendants ne peuvent pas utiliser à moins qu’ils ne soient sous-titrés. Pour leur part, les étudiants ayant un trouble d’apprentissage sont souvent désavantagés quand ils doivent travailler avec des documents du Web car il peut leur être difficile de les organiser d’une manière logique.
Ce sont des difficultés de ce type qui ont incité des chercheurs du Dawson College de Montréal à examiner l’utilisation de l’informatique et à voir comment aider les étudiants handicapés des collèges et universités du Canada. L’initiative, appelée Adaptech, met à contribution un noyau d’environ 10 chercheurs d’universités et collèges montréalais, des étudiants, des professeurs et des représentants de personnes handicapées de la collectivité locale.
Selon Jennison Asuncion, chercheur pour Adaptech et étudiant des cycles supérieurs en technologie éducative à l’Université Concordia, qui est aussi aveugle : « Le danger est que certains programmes exploitent la technique et que les étudiants handicapés qui s’y inscrivent n’aient pas accès aux mêmes possibilités d’apprentissage. »
Il souligne qu’il ne suffit pas de faire de l’accessibilité une caractéristique supplémentaire d’un site Web; elle devrait plutôt être un principe directeur. Tout comme il est préférable de prévoir les rampes pour fauteuils roulants avant de construire une classe, il est crucial de concevoir un cours en ligne qui ne privera pas certains participants des avantages évidents des programmes dispensés sur le Web.
Collecte d’information
M. Asuncion et ses collègues ont passé presque deux ans à recueillir des renseignements pratiques sur la façon dont les didacticiels adaptables sont appliqués et devraient l’être. Ils ont commencé en 1997, en organisant une série de groupes de discussion et des entrevues téléphoniques et en envoyant des centaines de questionnaires. L’opération leur a permis de rassembler les idées et expériences de près de 800 personnes de chaque province et territoire : des étudiants du postsecondaire malvoyants, malentendants et ayant des troubles d’apprentissage, du personnel collégial et universitaire responsable des services aux étudiants handicapés et de leurs professeurs.
Les résultats de l’étude ont été publiés l’automne dernier dans un rapport contenant 36 recommandations visant quatre groupes : le personnel collégial et universitaire responsable des services aux étudiants handicapés; les professeurs des universités et collèges; les fabricants et distributeurs de matériel informatique; les instances gouvernementales et d’autres organisations administratives dont le but est d’aider les étudiants handicapés à travailler avec cette nouvelle technologie.
Le tiers des recommandations vise les fournisseurs de services sur les campus à qui on demande d’acheter des logiciels et du matériel adaptables pour les étudiants handicapés, par exemple, des ordinateurs à commande vocale qui peuvent lire le contenu d’une page Web à un utilisateur aveugle. Il est possible que peu de personnes aient besoin de ce matériel inévitablement plus coûteux que les versions ordinaires. Mais selon Catherine Fichten, professeure de psychiatrie à l’Université McGill et directrice du projet Adaptech, les administrateurs devraient rejeter toute suggestion que le petit nombre d’utilisateurs ne justifie pas la dépense.
« Voilà un argument à refuser en tout temps. C’est un moyen d’exclusion », dit-elle, soulignant que l’investissement dans ce matériel envoie un signal positif à d’autres personnes handicapées et peut les inciter à s’inscrire à votre établissement. « En fait, une personne en amène une autre. »
Le rapport Adaptech signale que lorsqu’un campus se dote de ce type de matériel, les étudiants veulent les utiliser aux mêmes heures peu ordinaires que leurs collègues utilisent les leurs. Étant donné que ce matériel est plus coûteux, cependant, les administrateurs sont tentés de les installer dans un endroit sûr qui est peut-être ouvert seulement pendant le jour. Néanmoins, il est essentiel d’en permettre l’accès en dehors des heures régulières. Si l’on veut en outre que les professeurs et les étudiants sachent bien utiliser ces outils, il est aussi essentiel de leur offrir une formation.
Mme Fichten fait remarquer que les établissements qui s’inquiètent du prix élevé des technologies adaptées devraient se renseigner sur les divers programmes gouvernementaux d’aide technique aux personnes handicapées.
L’étude a révélé que « la grande majorité des étudiants des collèges et universités ne savent pas qu’il existe des programmes pour les aider à apprendre à utiliser l’informatique ».
Le projet Adaptech a aussi révélé que de nombreux articles sont polyvalents, c’est-à-dire que les personnes ayant une déficience différente peuvent en bénéficier. Par exemple, les logiciels qui lisent à haute voix le texte d’un écran, destinés surtout aux étudiants aveugles, peuvent aussi aider les personnes ayant des troubles d’apprentissage. De fait, l’investissement dans le matériel peut avoir plus de retombées que celles qui semblent à première vue évidentes.
Par-dessus tout, les auteurs du rapport recommandent que les universités consultent les étudiants avant d’acheter du matériel, afin de tirer le meilleur parti de leur investissement. M. Asuncion ajoute que presque chaque université et collège du Canada possède un bureau chargé d’étudier les questions d’accessibilité, mais il a sans doute peu de contact avec les services qui s’occupent de l’achat et de l’installation des ordinateurs et des logiciels.
Même si, partout, les établissements sont fort occupés à suivre le rythme de l’évolution des technologies et à mettre celles-ci à la disposition des étudiants le plus rapidement possible, ils se compliquent la tâche s’ils décident d’adapter leurs outils informatiques après coup pour les étudiants handicapés.
M. Asuncion affirme que la responsabilité doit être partagée et suggère que des représentants des deux groupes siègent aux comités de chacun. « Il faut qu’une de ces personnes siège aux comités si vous voulez des résultats et si vous êtes déterminés à offrir l’accès à ces moyens modernes. »
Coup double
L’étude comprend un autre résultat étonnant : de nombreuses innovations informatiques créées sans penser à aider les personnes handicapées offrent néanmoins cette capacité. Mme Fichten cite les logiciels de dictée et les correcteurs d’orthographe qui sont largement commercialisés et ne s’adressent pas particulièrement aux utilisateurs handicapés, mais constituent malgré tout des instruments d’adaptation pour les personnes dont la dextérité manuelle ou la vision est limitée et qui ont de la difficulté à dactylographier.
« Les arrangements faits pour les étudiants ayant une déficience sont bons pour tous les étudiants », précise-t-elle en soulignant que tout le monde serait ravi si des changements rendaient la
documentation en ligne plus claire et plus facile à comprendre.Les malentendants ont bénéficié de l’avènement du sous-titrage sur la vidéo, mais l’étude Adaptech a trouvé que cette technique ne donne pas d’aussi bons résultats sur le Web. Le courrier électronique, les programmes de discussion ainsi que les logiciels collectifs dotés d’un « tableau blanc » constituent des solutions de rechange efficaces. Mais il ne faut pas oublier que cette information affichée sur un écran d’ordinateur détournera l’attention des étudiants et qu’ils auront plus de difficulté à lire les lèvres de l’enseignant ou à suivre d’autres activités menées en classe.
En ce sens, selon Maria Barile, travailleuse sociale et codirectrice du projet Adaptech et elle-même malentendante, pour les étudiants comme pour les enseignants, il y a un prix à payer pour l’accessibilité. Certaines des recommandations les plus senties visent à faire de l’accessibilité une considération primordiale de tout enseignant. « Ne présumez pas que l’accessibilité signifie la même chose pour tout le monde », dit-elle.
Il ne s’agit pas toujours d’acheter
des logiciels ou des appareils spécialisés mais souvent, tout simplement d’exploiter pleinement le potentiel du matériel existant. Même des fabricants de masse comme Microsoft ont pris de grandes mesures pour incorporer l’accessibilité dans leurs produits ordinaires : un exemple notable était un dispositif de Windows 98 qui permettait d’accroître facilement la taille des caractères, des icônes et des images sur l’écran, afin de faciliter la tâche aux personnes malvoyantes.Malheureusement, certaines de ces innovations sont enfouies dans les informations les plus techniques du logiciel et, pour les dénicher, il faut des experts qui, eux-mêmes, doivent être au courant de la nécessité de servir les personnes handicapées. Sensibiliser tout le monde à ce besoin, des techniciens aux professeurs, doit être une priorité sur tous les campus, affirme Mme Fichten.
« Les instructions s’adressent aux techniciens, dit-elle, ce que les étudiants, les professeurs et les administrateurs universitaires ne sont pas. »
Ni d’ailleurs les membres du corps professoral qui conçoivent la prochaine génération de cours sur le Web.
Le rapport recommande que les enseignants affichent sur le Web les informations relatives au cours bien avant que celui-ci ne débute, de sorte que les utilisateurs aveugles, par exemple, aient le temps de compléter le long processus de téléchargement de la documentation en version audio. De même, les pages Web et la documentation connexe au cours devraient être présentées en pensant aux utilisateurs aveugles, c’est-à-dire minimiser le contenu graphique ou au moins offrir une version qui soit compréhensible sans les tableaux, les diagrammes ou d’autres illustrations.
Cette optique multimodale est aussi importante pour les étudiants ayant des troubles d’apprentissage pour qui il est parfois bénéfique de combiner la version texte avec une autre contenant des images, de sorte qu’ils puissent mieux comprendre la signification générale. Un prolongement logique de cette stratégie comprend la production de manuels, de travaux, d’imprimés et d’examens dans ces versions de rechange.
À cet égard, les enseignants peuvent être tentés d’exploiter les capacités de nombreux logiciels populaires pour produire différentes versions de documents pédagogiques. Cependant, l’étude Adaptech contient des avertissements répétés au sujet de certains de ces logiciels. Par exemple, bien des étudiants non-voyants ont recours à des fonctions d’agrandissement de l’écran pour augmenter la taille des caractères et rehausser la couleur pour parvenir à lire un texte. Cependant, la plupart des cédéroms et des logiciels comme Adobe Acrobat et PowerPoint de Microsoft rendent ce procédé difficile, voire impossible. Dans un même ordre d’idées, les hyperliens créés au moyen du langage de programmation Java ne peuvent être utilisés par des personnes se servant d’un système de commande vocale.
Étant donné les efforts investis par certains enseignants dans la façon de présenter le matériel pédagogique avec ces logiciels populaires, il est important qu’ils en comprennent les limitations pour certains étudiants handicapés. Le projet Adaptech rappelle constamment aux professeurs, administrateurs et fabricants que cette compréhension commence avec l’inclusion de ces étudiants dans le processus continu d’installation de technologies de l’information sur les campus.
« Des partenariats et des ententes s’avèrent donc nécessaires », conclut l’étude, qui adopte un point de vue optimiste au sujet de ce processus. « Les ordinateurs sont davantage perçus comme une technologie habilitante permettant de gagner du temps, préparant ainsi les étudiants à l’économie basée sur le savoir.»
D’autres ressources pour les enseignants :
• Le texte intégral du projet Adaptech se trouve à http://www.adaptech.org/pubs/adengtocf.htm.
• Le centre des ressources techniques adaptées de la University of Toronto (www.utoronto.ca/atrc) offre aux enseignants un service qui examine les sites Web pour voir si leur conception est conviviale pour tous et révise les aspects qui pourraient rendre un site moins accessible aux personnes ayant un handicap.
• La High Tech Center Training Unit des California Community Colleges (www.htctu.fhda.edu/) présente une série de lignes directrices des plus complètes sur l’accessibilité de l’éducation en ligne. Plutôt générales, elles traitent de méthodes spéciales à employer, par exemple, pour le sous-titrage des vidéoclips afin que les malentendants puissent les comprendre et de la suppression des éléments animés d’une page Web, qui peuvent entraver le rendement des logiciels de lecture de l’écran pour les aveugles. Le Santa Monica College (www.smc.edu/centers/disabledstudent/awareness_training.htm) a dressé une liste de contrôle en 14 points, utile à toute personne qui construit une page Web, peu importe les lecteurs éventuels.